Cahier d’un retour au pays natal

© AKO – Audrey Knafo Ohnona

Texte Aimé Césaire – mise en scène et interprétation Jacques Martial – Compagnie de La Comédie Noire, au Théâtre de l’Épée de Bois.

« Au bout du petit matin… » premiers mots de ce grand poème d’Aimé Césaire (1913-2008), de retour à la Martinique, dans lequel il exprime sa révolte contre le colonialisme. Poète et grand intellectuel, Césaire est aussi homme politique et porte flambeau du mouvement littéraire de la négritude. Autour de lui ont fait cercle les écrivains francophones noirs de l’époque dont Léopold Sedar Senghor, poète et premier président de la République du Sénégal et Frantz Fanon, écrivain et psychiatre martiniquais également très engagé, qui eut Césaire pour professeur. Tous ont dénoncé le racisme et l’esclavagisme que Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, exprimait avec force : « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

« Au bout du petit matin, cette ville plate, étalée… » Césaire redécouvre sa ville, Fort-de-France et publie pour la première fois en 1939 ce vibrant Cahier d’un retour au pays natal sur lequel il travaille depuis trois ans. En 1942, il adresse à André Breton, chef de file du mouvement surréaliste, un texte intitulé En guise de manifeste littéraire, qui éclaire un peu plus le Cahier : « Vous, ô vous qui vous bouchez les oreilles c’est à vous, c’est pour vous que je parle, pour vous qui écartèlerez  demain jusqu’aux larmes la paix paissante de vos sourires, pour vous qui un matin entasserez dans votre besace mes mots et prendrez à l’heure où sommeillent les enfants de la peur, l’oblique chemin des fuites et des monstres. »  Dans sa préface à l’édition de 1947, André Breton écrit à son tour : « Ce qui à mes yeux rend cette dernière édition sans prix, c’est qu’elle transcende à tout instant l’angoisse qui s’attache, pour un Noir, au sort des Noirs dans la société moderne… »

Le message de Césaire au monde, est politique, social et philosophique. C’est aussi un poème d’une grande puissance incantatoire, aux métaphores tant violentes qu’élégantes. Jacques Martial s’en empare et le met en scène pour en livrer sa lecture, personnelle et artistique. Seul en scène, il rentre au pays plein de sacs et d’illusions passant les frontières matérialisées ici par un rideau décoré, plastique translucide pouvant évoquer pays et continents. Le bruit du voyage par le roulement d’un train ouvre le spectacle et le jette dans une nouvelle réalité, recréée, où la mémoire veille. « Que de sang dans ma mémoire ! Dans ma mémoire sont des lagunes. Elles sont couvertes de têtes de mort. Elles ne sont pas couvertes de nénuphars. »

Le spectacle, tiré du Cahier d’un retour au pays natal, que Jacques Martial, né de parents guadeloupéens, a monté et joué à partir de 2003, qui a tourné dans le monde dont en Martinique et Guadeloupe, en Nouvelle Calédonie, en Australie et à Singapour, et qu’il recrée cycliquement, permet de rencontrer le texte. La première partie du spectacle est théâtralisée et l’on s’enfonce au fur et à mesure dans un récit de plus d’intensité encore, de dénuement et de violence où il jette les oripeaux d’un lourd passé. « Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous.»

Jacques Marial s’est formé comme acteur auprès de Sarah Sanders avec laquelle il a collaboré pendant plusieurs années. Acteur et metteur en scène, il travaille au cinéma comme au théâtre. Il a créé sa compagnie théâtrale en 2000, la Compagnie de la Comédie Noire et présenté L’Échange, de Claudel. Il a dirigé l’établissement public/Parc et Grande Halle de La Villette de 2006 à 2015. Depuis, il préside le Mémorial ACTe/Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage de Pointe-à-Pitre, situé sur le site de l’ancienne usine sucrière Darboussier et il est Conseiller délégué aux Outre-mer. Artiste et homme politique à son tour, il lance le texte avec conviction et passion et nous permet de l’entendre dans sa colère et dans sa poésie.

Brigitte Rémer, le 7 mai 2022

Scénographie Pierre Attrait – peinture Jérôme Boutterin – création lumière Jean-Claude Myrtil – accessoires Martine Feraud – assistanat mise en scène et traduction anglaise Tim Greacen – régisseurs Jean-Marc Feniou, Damien Patoux – En coproduction avec L’Artchipel/ Scène Nationale de la Guadeloupe et le Festival Ten Days on the Island, Hobart, Australie.

Du 5 au 15 mai 2022, du jeudi au samedi à 19h – samedi et dimanche à 14h30 – Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes. 75012. Paris – site : www.epeedebois.com – lacompagniedelacomedienoire@hotmail.com